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Aux confins de la fournaise (ndlr)

Pour tenter de comprendre ce qui se passe au Liban (ndlr)

Mercredi, 29 octobre 2014 - 13h51

mercredi 29 octobre 2014

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C’est une guerre en bonne et due forme que certains comparent – toutes proportions gardées à ce stade – à celle de Nahr el-Bared, qui a l’air de se dérouler depuis vendredi soir à Tripoli. Dans le chef-lieu du Liban-Nord, les combats continuent de faire rage entre l’armée et les islamistes qui accusent les forces régulières de soutenir le Hezbollah, engagé à fond aux côtés de Bachar el-Assad en Syrie.

Il y a bien eu à un moment donné hier des informations sur des efforts fournis pour parvenir à un cessez-le-feu, mais le fait est que l’armée est déterminée à aller jusqu’au bout de son opération contre les islamistes. C’est ce que son commandement a assuré en soirée pour les démentir. Et la seule trêve qui s’est installée de fait en soirée devait permettre une évacuation des civils et des blessés.

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On est ainsi loin du temps où des affrontements ponctuels secouaient Tripoli, pour quelques jours, ou quelques heures, et se limitaient aux deux tristement célèbres quartiers ennemis, Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen. La ville est engagée dans une véritable bataille contre le terrorisme dont la durée fait certes l’objet de spéculations, mais autour de laquelle une véritable majorité s’est formée. L’armée ne se serait pas embarquée dans une équipée pareille si elle ne bénéficiait pas d’une couverture et d’un soutien politiques, notamment au sein de la communauté sunnite, assure-t-on dans divers milieux.

Ce soutien s’est manifesté au cours des trois derniers jours, à travers les différentes positions exprimées par les personnalités politiques sunnites et les contacts qu’elles ont eus entre elles. Hier, le Premier ministre, Tammam Salam, a réaffirmé l’attachement et l’appui des sunnites à l’armée. « Tripoli n’a rien à voir avec le terrorisme et refuse d’en être le refuge. L’appel de certains au Jihad est rejeté parce que les sunnites ne peuvent pas s’opposer à l’État et n’ont d’autres choix que l’État, l’armée et les institutions de sécurité, à condition que celles-ci traitent tous les Libanais sur un pied d’égalité », a-t-il dit en soirée à al-Jadid, mais sans expliquer ce qu’il entend précisément par sa dernière phrase.

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Le même raisonnement a été développé par le ministre de la Justice, Achraf Rifi, dans un communiqué qu’il a fait paraître pour « assurer que ce qui se passe à Tripoli n’est pas une guerre contre Ahl el-sunna (la communauté sunnite) qui reste engagée en faveur de l’État, du Liban et de la coexistence », tout en faisant assumer au Hezbollah la responsabilité des troubles qui secouent le Liban « à cause de son implication en Syrie ».

Les participants à la réunion politico-religieuse au domicile du député Mohammad Kabbara ont également affirmé l’attachement de la ville à l’État, au moment où l’armée resserrait l’étau sur les islamistes traqués dans le quartier de Bab el-Tebbané. La réunion s’est tenue en présence d’un représentant de Najib Mikati, Abdel Razk Karhani, du ministre de la Justice, Achraf Rifi, des députés Samir Jisr et Badr Wannous, d’une délégation de la commission des ulémas musulmans, conduite par cheikh Zakariya Masri, d’un autre cheikh, Moustapha Allouche (NDLR : pas l’ex-député), représentant la Jamaa islamiya, du secrétaire général du Rassemblement national islamique, Amid Hammoud, du conseiller de Saad Hariri pour les affaires du Liban-Nord, Abdel Ghani Kabbara, et de plusieurs autres cheikhs et notables de la ville.

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Épargner les civils

Son objectif était, selon un communiqué publié plus tard, de « voir comment faire éviter à Tripoli et Bab el-Tebbané davantage de sang et de destructions », la préoccupation principale des personnes présentes étant d’épargner les civils. À cette fin, des contacts ont été entrepris avec MM. Salam et Hariri, ainsi qu’avec le chef du bloc parlementaire du Futur, Fouad Siniora, le mufti de la République, cheikh Abdellatif Deriane, et le commandement de l’armée. Les personnes présentes ont appelé à un cessez-le-feu immédiat pour faire évacuer les blessés et les civils.
Elles ont ensuite assuré que « Tripoli a toujours été dans le giron de l’État et le restera, et qu’elle s’oppose au terrorisme, quelle que soit son origine », avant de souligner la nécessité d’ « appliquer le plan de sécurité, mais de manière pacifique, comme la première fois », et de mettre en garde contre « un usage abusif de la force », en allusion peut-être à des informations – non confirmées – sur des suspects interpellés et maltraités par les forces régulières avant d’être relâchés.

Mais la phrase employée par le chef du gouvernement pour que les services de sécurité traitent tous les Libanais sur un pied d’égalité et l’appel des forces actives réunies chez Mohammad Kabbara à une application pacifique du plan de sécurité laissent transparaître un certain malaise sunnite face à l’envergure de l’opération militaire menée par l’armée. Une opération qui ne peut cependant qu’être soutenue, compte tenu des conséquences d’une éventuelle indulgence.

Les personnes réunies ont vivement dénoncé les attaques contre l’armée et « tous les actes terroristes commis contre des militaires » et appelé l’État à prendre les mesures qui s’imposent pour régler « les causes et les conséquences » de la situation qui prévaut depuis des années dans la ville, en termes de développement.

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Une chose est donc sûre : la troupe ne peut plus reculer, même sous la pression des menaces d’exécution des otages encore détenus par al-Nosra et l’État islamique. « Un repli sera catastrophique », a affirmé à L’Orient-Le Jour le député Ahmad Fatfat qui a quand même une lecture pratiquement optimiste des événements à Tripoli, en ce sens que la bataille ne risque pas, selon lui, de s’étendre dans le temps, dans la mesure où l’armée a réussi à encercler les islamistes à Bab el-Tebbané et encore moins de se transposer à d’autres régions du Liban, en raison du soutien sunnite à cette opération.

Un repli serait catastrophique parce qu’il consacrerait la mainmise islamiste milicienne sur la ville, un risque à effet boule de neige garanti que l’armée ne peut pas prendre. À L’Orient-Le Jour, le mufti Chaar a assuré que la troupe a pris la décision de trancher, tout en soulignant que la situation dans la ville est « délicate et pénible ». Les leaderships politiques, a-t-il expliqué, ont invité les autorités à appliquer de nouveau le plan de sécurité qui avait été mis en place pour la ville, « mais sans que personne ne se mêle de ce que l’armée décidera à ce niveau, parce que nous avons grande confiance dans les forces régulières ».

Cheikh Chaar pense également que les événements de Tripoli ne risquent pas de s’étendre à d’autres régions, en raison de la quasi-unanimité sunnite autour de l’opération militaire de Tripoli. Un avis que l’ancien député Misbah Ahdab ne partage cependant pas, même pas pour Tripoli. M. Ahdab considère que la bataille « risque de se prolonger » et s’étonne de ce que « 50 000 soldats soient chargés de traquer 10 000 individus contre qui des mandats avaient été délivrés ». Selon lui, l’armée se trouve dans une situation difficile. Si elle se retire, ce seront les islamistes qui prendront le contrôle de la ville, et si elle poursuit la bataille, celle-ci risque d’être longue et d’avoir des conséquences inattendues. Un règlement, pour M. Ahdab, passe inévitablement par les voies politiques et commence, explique-t-il à L’Orient-Le Jour, par une distanciation par rapport aux événements de Syrie. Une condition sine qua non pour protéger l’armée et mettre le Liban à l’abri des étincelles du brasier syrien, affirme-t-il.

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