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Par Jeff Halper – ICAHD

De l’enlèvement à l’effondrement : le commencement de la fin ?

Jeudi, 3 juillet 2014 - 13h26

jeudi 3 juillet 2014

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En fin de compte, l’inviabilité du stockage des Palestiniens va forcer la main à la communauté internationale. (1) Le gouvernement israélien, si fort qu’il ne sait quand s’arrêter, va nous y conduire.

L’enlèvement et le meurtre des trois jeunes israéliens en Cisjordanie ont déclenché une opération militaire qui marque la fin de l’occupation israélienne. Le terme « occupation » désigne une situation militaire temporaire, qui ne peut être résolue que par des négociations. Si tel était le cas, alors on pourrait arguer que l’occupation d’Israël sur la Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza (sans parler du plateau du Golan) n’a duré qu’une décennie, le temps du règne hésitant des Travaillistes.
Depuis 1977, quand le gouvernement Begin/Sharon a annoncé que « la Judée et la Samarie » étaient considérées comme parties intégrantes de l’État/la terre d’Israël, quand il a officiellement annexé Jérusalem-Est et le plateau du Golan, et lancé sa campagne pour exclure méthodiquement une solution à deux États en construisant massivement dans les colonies, depuis 1977 donc, l’« occupation » a laissé la place à quelque chose d’autre. En fait, Israël niait même toute occupation – ce « quelque chose d’autre » dans le parler israélien était simplement l’« administration » d’un territoire « disputé ».

De ce point de vue, la Quatrième Convention de Genève ne s’appliquait pas, Israël n’avait violé aucune législation internationale interdisant aux puissances occupantes de modifier unilatéralement le statut des territoires occupés, et les Palestiniens, définis comme personnes protégées (par la Convention) pour le bien-être desquelles Israël a des comptes à rendre, étaient laissés sans protection. Effectivement, après la mort d’Arafat en 2004, sinon avant, Israël ouvrait la voie à une autre variante de l’occupation : une occupation commune israélo-palestinienne ancrée dans une milice de l’Autorité palestinienne, entraînée par les Américains, et agissant en tant que gendarme d’Israël.

C’est donc avec le meurtre des trois que nous nous trouvons sur le point d’entrer dans une nouvelle et épouvantable phase de post-occupation, de stockage, une étape qui va au-delà de l’apartheid. Après que les Palestiniens eurent été dépossédés de leurs terres et que 96 % d’entre eux se sont retrouvés confinés dans des dizaines d’îlots minuscules sur moins de 40 % des territoires occupés – c’est-à-dire, 40 % des 22 % de leur patrie d’origine –, après que 30 000 de leurs maisons eurent été démolies et qu’une population entière fut exposée à la paupérisation et, à Gaza, à des conditions frôlant la famine, après que les négociations furent systématiquement bloquées et que les colonies eurent atteint leur masse critique, irréversible, alors le stockage va bientôt commencer. La bonne nouvelle, c’est : aussi violente et oppressive que la campagne d’Israël de stockage sera probablement (même si une pression internationale forte peut éventuellement faire éviter des mesures parmi les pires), elle conduira en peu de temps à l’effondrement de la domination israélienne et, si nous sommes prêts pour une alternative inclusive, elle ouvrira la voie à de nouvelles possibilités pour une paix juste aujourd’hui non réalisable.

Le terme « stockage » vient du monde des prisons d’Amérique. La population des USA représente 4,4 % de la population du monde, et leurs prisonniers, 25 % des prisonniers. Ce sont des internés, des pupilles de l’État, dont les statuts sont fixés et qui, à toutes fins utiles, ont disparu. Personne ne se soucie de ce qu’ils sont devenus (une réforme des prisons ne vous fera pas élire au Congrès), et leurs droits ne sont appliqués que bafoués. Et quand ils se « mutinent » - car nous choisissons le langage non-politique pour décrire les agissements de ces sous-hommes -, les gardiens de la prison ont le droit, et le devoir, de les supprimer. Pas de négociations. Ils ne sont pas une « partie » (un partenaire), juste des sujets à gérer, à « stocker », pour toujours s’ils s’avèrent récalcitrants.

Cela exprime précisément la façon dont Israël considère les Palestiniens. Il n’a jamais reconnu l’existence du peuple palestinien ni leurs droits nationaux à l’autodétermination et, même dans les jours les plus radieux d’Oslo, il a seulement reconnu l’OLP en tant que partenaire aux négociations. Israël n’a jamais officiellement déclaré son acceptation d’une solution à deux États, et certainement pas une solution qui requerrait son total retrait de l’autre côté de la Ligne verte. Ne les considérant pas comme une « partie » véritable et égale avec qui négocier, il ne leur a fait que des « offres généreuses » qu’ils pouvaient ou prendre ou laisser. En effet, depuis l’époque Ehud Barak, Israël a proclamé qu’il n’a aucun « partenaire pour la paix », ce qui signifie que ses décisions politiques sont prises unilatéralement.

La solution à deux États est enterrée à tout jamais sous les blocs de colonies, Israël ratisse : les cellules de prison des zones A et B sont préparées et maintenant, les autorités pénitentiaires doivent faire connaître aux prisonniers la réalité et le désespoir de leur situation. Soumettez-vous et vous vivrez ; résistez et vous mourrez. C’est précisément le message de l’opération « Gardien de mon frère » (de recherches des trois colons disparus), qui n’attendait qu’un prétexte, et il est fourni par l’enlèvement.
Pourtant, les impuissants ont un instrument efficace à leur disposition. Ils peuvent dire « non ». L’Autorité palestinienne est quasiment une puissance occupante à part entière. La prise de contrôle de Ramallah par Israël durant la dernière « opération » s’est faite avec la coopération active des forces de sécurité palestiniennes, et les Palestiniens parlent souvent de vivre sous deux occupations. Qu’elle démissionne ou s’effondre simplement sous le poids de son propre manque de crédibilité, il est difficile de voir comment l’AP peut survivre à l’humiliation et au rôle officiel de collaborateur que lui a imposés Israël, et ce qu’elle sera si elle reste une puissance sans aucun processus politique significatif.

C’est là qu’arrive l’effondrement – et la résolution finale du conflit. Sans Autorité palestinienne pour perpétuer la fiction de « deux parties » engagées dans des négociations, Israël annexera unilatéralement les principaux blocs de colonies, la moitié de la Cisjordanie, mais il sera au final contraint de réoccuper les villes palestiniennes et Gaza. (Avigdor Liberman, ministre des Affaires étrangères d’Israël, a exhorté à la conquête de Gaza depuis les enlèvements). Ou vice-versa, ce n’est pas le problème. Nous nous retrouverons au bout du compte avec un stockage sans limite de temps, ce sera l’emprisonnement sans fard, à l’état brut, de tout un peuple. Israël pense que c’est bien. Il croit pouvoir emprisonner un peuple et s’en tirer comme cela. Pouvoir « gagner ». Telle est sa foi dans la protection que lui accordent le Congrès américain et son utilité en tant que l’un des principaux pourvoyeurs d’armes et de sécurité au monde.

Mais c’est là où Israël se trompe dans l’interprétation de la carte politique. S’il n’en tenait qu’aux seuls gouvernements, Israël pourrait certainement l’emporter, car ceux-là ne font que gérer les conflits au lieu de les résoudre. Mais la question palestinienne a pris des proportions d’une lutte anti-apartheid. Et comme dans cette lutte, la société civile internationale, celle de groupes politiques et militants, d’organisations de défense des droits de l’homme, de syndicats, d’Églises, d’étudiants, d’intellectuels et d’une opinion publique de plus en plus critique, cette société civile internationale a pris tant de force que les gouvernements ne peuvent plus l’ignorer.

Le conflit israélo-palestinien n’est pas seulement une querelle entre deux groupes locaux ; il est devenu un conflit mondial qui perturbe et déstabilise le système international tout entier, et le Moyen-Orient inflammable en particulier. A la fin, l’inviabilité du stockage des Palestiniens va forcer la main à la communauté internationale.

Si cela se produit dans un avenir pas trop lointain, des possibilités pour une résolution vraiment juste au conflit émergeront en proposant des alternatives qui ne sont pas réalisables aujourd’hui – la possibilité d’un État unique, démocratique, binational, en étant la première. Le gouvernement israélien, si fort qu’il ne sait quand s’arrêter, va nous conduire à ce moment-là. Mais cependant, il ne sera pas un partenaire dans la réalisation d’une juste paix. Ce sera à nous finalement, à nous le peuple, de formuler ce qu’une résolution juste doit être, et de pousser à sa concrétisation. Le moment approche. La question est, serons-nous prêts à le saisir ?

Traduction : JPP,
Article original : http://www.icahd.org/node/553