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Doux euphémisme ! (ndlr)

Israël s’inquiète du boycott international

Lundi, 28 avril 2014 - 7h11 AM

lundi 28 avril 2014

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Par Pierre Puchot

Peu soucieux de l’éventuelle réunification palestinienne, Israël s’inquiète en revanche de l’essor que prend le mouvement international de boycott et de désinvestissement qui frappe son économie. Pour bien des Palestiniens, ce boycott constitue l’ultime carte, quand toutes les autres options ont échoué.

Un accord est intervenu dans la nuit du mardi 22 au mercredi 23 avril lors d’une réunion à Gaza entre une délégation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et des dirigeants du Hamas « pour former un gouvernement d’union nationale d’ici cinq semaines », a déclaré un membre de la mission de l’OLP. Composé de technocrates, ce gouvernement permettrait d’en finir avec la division du pouvoir palestinien, effective depuis la victoire du Hamas aux élections de 2006 à Gaza.

Sur le dossier israélo-palestinien en revanche, aucun progrès en vue. Dernier épisode de ce tragique feuilleton : mardi 22 avril, Israël a rejeté les demandes du président palestinien Mahmoud Abbas pour une prolongation des négociations de paix, à une semaine de la fin programmée des pourparlers. Mardi 1er avril déjà, en pleine visite du secrétaire d’État américain John Kerry, venu tenter de maintenir en vie le processus de paix, et alors que les autorités israéliens laissaient entendre qu’elles s’engageraient vers un nouveau « gel partiel de la colonisation » (comme en 2009 lors de la visite d’Hillary Clinton), Israël avait annoncé la relance d’un appel d’offres pour 708 logements à Jérusalem-Est. Et dimanche 6 avril, le gouvernement israélien a menacé les Palestiniens de « représailles », après la décision par l’Autorité palestinienne de demander l’adhésion de la Palestine à quinze traités internationaux.

« Processus de paix », « gel partiel », « menaces de représailles »... Rien de neuf dans ce vocabulaire. Pourtant, à lire les médias israéliens de près depuis le début de l’année, le lecteur attentif pourrait voir émerger quelques mots nouveaux sous la plume des journalistes et commentateurs israéliens : « boycott », « désinvestissement », « sanctions » ou même « Afrique du Sud ».

Ce qui a changé en ce début d’année 2014, c’est la nature et la portée de la menace à laquelle Israël doit désormais faire face. Début janvier, alors qu’entrent en vigueur les nouvelles directives de l’Union européenne interdisant toute subvention de l’UE à une entreprise ou association israélienne implantée dans les Territoires palestiniens occupés, plusieurs responsables politiques israéliens le clament haut et fort : le boycott constitue désormais une menace à prendre très au sérieux. « Si les négociations avec les Palestiniens échouent et que le boycott européen intervient, même partiellement, l’économie israélienne en pâtira et tout Israélien sera directement affecté, d’un point de vue économique », expliquait, le 31 janvier 2014, le ministre des finances israélien, Yair Lapid, du parti centriste Yesh Atid (« Il y a un avenir »). Le même jour, Lapid a révélé le contenu d’une étude réalisée par son ministère en 2013. En cas de sanctions économiques de la part de l’Union européenne, les exportations annuelles d’Israël vers l’UE diminueraient de 20 % en un an. Une perte nette de 4,2 milliards d’euros pour l’économie israélienne.

Dans un entretien à la chaîne israélienne Channel 2 accordé mi-janvier, l’ancien premier ministre Tzipi Livni ne disait pas autre chose : « Le monde ne comprend pas les implantations (sous-entendu "israéliennes en Cisjordanie"), affirme-t-elle. Les négociations de paix constituent une véritable digue contre cette vague (du boycott international). » Interrogée sur le risque pour Israël de se voir isolé à la manière de l’Afrique du Sud au milieu des années 1970, Livni répond sans détour : « Je crie :“réveillez-vous” », conclut-elle.

Conscient de l’enjeu, le premier ministre Benjamin Nétanyahou a lui-même évoqué le sujet début mars à Washington, devant le congrès du lobby pro-israélien AIPAC (American Israel Public Affairs Committee, lire notre enquête, Comment le lobby pro-israélien a fait reculer Obama). Inquiet du phénomène, Nétanyahou a également transféré dès juin 2013 la tâche de superviser la riposte médiatique et politique à la campagne « BDS » – pour « Boycott, désinvestissement, sanctions » – du ministère des affaires étrangères à celui des affaires stratégiques.

À l’initiative de ce mouvement international de boycott des produits israéliens, « BDS » est désormais sous les feux de la rampe. Comment ce mouvement se structure-t-il ? Représente-t-il une menace réelle capable, comme l’affirment ses partisans, de contraindre à terme Israël à évacuer les Territoires occupés ? Initiative de militants associatifs palestiniens auteurs d’un appel rendu public le 9 juillet 2005, l’objectif de BDS est de dénoncer la responsabilité selon eux du gouvernement israélien dans la dégradation de la situation au Proche-Orient et de pousser à une campagne internationale de boycott contre l’État d’Israël. Signé par 170 associations et organisations de Gaza, de Cisjordanie, d’Israël, et des camps de réfugiés, cet appel est lancé un an jour pour jour après l’avis de la Cour internationale de justice (CIJ) demandant la destruction du mur construit par Israël le long de la ligne verte pour séparer la Cisjordanie de son territoire. L’appel BDS affirme ainsi en substance : « Nous avons la légalité internationale avec nous, comme le stipule l’avis de la CIJ. Mais les institutions internationales ne prennent pas leurs responsabilités, nous appelons donc les populations et les mouvements de solidarité à prendre les leurs, et à sanctionner Israël en boycottant ses produits. »

Outre la décision de la CIJ, l’autre facteur qui explique alors la naissance de BDS est inter-palestinien, après le double échec de la stratégie négociée via le processus d’Oslo, et celle de la lutte armée, qui a abouti en 2003 à la quasi-paralysie du mouvement national palestinien. BDS se conçoit dès l’origine comme totalement autonome de l’Autorité palestinienne présidée par Mahmoud Abbas. La plupart des personnalités à l’initiative de BDS ont fait leurs armes dans les années 1980 pendant la première intifada, avant d’être marginalisées sur la scène politique suite aux accords d’Oslo, et de s’estimer flouées par le monopole sur les responsabilités exercées par la direction historique de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ce sont des personnalités issues de la gauche palestinienne, qui s’étaient tournées à la fin des années 1990 vers les ONG et collectifs (contre le mur, les destructions de maisons palestiniennes à Jérusalem.)

Parmi eux, on retrouve l’activiste Omar Barghouti : « Nous en appelons aux organisations de la société civile internationale et à la conscience des populations pour imposer le boycott et entamer des initiatives de désinvestissement contre Israël semblables à celles qui ont été appliquées à l’Afrique du Sud pendant l’ère de l’apartheid, affirme à Mediapart ce co-fondateur du mouvement BDS. Aujourd’hui, le mouvement global BDS est mené par la plus large coalition au sein de la société palestinienne, le comité national BDS (BNC). BDS appelle à la fin de l’occupation par Israël des territoires palestiniens et arabes occupés depuis 1967, en incluant le démantèlement du mur et des colonies ; à la fin du système israélien de discrimination racial contre les citoyens palestiniens, qui recouvre la définition donnée par l’ONU de l’apartheid (Omar Barghouti fait ici référence au traité de Rome) ; et le droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs maisons d’origine, tel que mentionné par les Nations unies. »

Principale ambiguïté de cet appel de BDS, qui a longtemps occupé les débats autour de la campagne dans les médias internationaux : pourquoi faire l’amalgame entre le boycott d’Israël et celui des produits issus des Territoires palestiniens, dont l’occupation fait l’objet de plusieurs résolutions des Nations unies demandant à Israël de s’en retirer ? « Il y a un débat à l’intérieur du mouvement BDS sur le type de boycott à mettre en place, explique Julien Salingue, chercheur spécialiste du mouvement national palestinien, co-directeur de l’ouvrage Israël, un État d’apartheid ?, paru en 2013 à L’Harmattan (lire sous l’onglet « Prolonger » l’article de François Dubuisson : « La notion d’apartheid en droit international : questions pour une application au cas d’Israël ») et membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), signataire de l’appel BDS. En France notamment, l’interrogation portait sur le fait de simplement appeler à boycotter les produits des colonies, ou l’ensemble des produits israéliens. La réponse des animateurs palestiniens de la campagne BDS est de dire : "Il n’y a pas de séparation structurelle entre l’économie des colonies et l’économie israélienne. Les deux sont totalement imbriquées, et ce n’est pas l’occupation qu’il faut boycotter, c’est Israël." Au final, c’est Israël qui règle le problème, si je puis dire, puisque le gouvernement lui-même refuse de faire la distinction entre les produits des colonies et ceux fabriqués en Israël. S’il refuse cette traçabilité, comment le mouvement BDS pourrait-il faire la différence ? »

Si BDS effraie désormais les responsables israéliens, cela s’explique par la conjonction de deux phénomènes : le boycott économique, qui va croissant même s’il demeure difficilement quantifiable, et le boycott culturel.

PGGM, Sodastream... Le boycott occupe les médias

Début janvier, l’annonce a fait sensation aux Pays-Bas : le fonds d’investissement PGGM, qui pèse 150 milliards d’euros (ce qui fait de lui un fonds intermédiaire dans la hiérarchie des fonds), a annoncé sa décision de ne plus investir dans cinq banques israéliennes impliquées dans la colonisation de la Cisjordanie (Bank Hapoalim, Bank Leumi, First International Bank of Israel, Israel Discount Bank, Mizrahi Tefahot Bank). Comment expliquer une telle décision ? Face aux attaques, manifestations devant ses locaux et accusations d’antisémitisme, PGGM a publié une lettre dans laquelle il explique le motif de sa démarche : « L’implication (de ces banques) dans le financement des implantations israéliennes dans les territoires occupés palestiniens était pour nous un problème, puisque ces implantations sont considérées comme illégales au regard du droit humanitaire international. De plus, poursuit le communiqué, les observateurs internationaux ont indiqué que ces implantations constituaient un obstacle important à une solution de paix (à deux États) pour le conflit israélo-palestinien. »

Dans sa lettre, PGGM fait également mention de la décision prise en 2004 par la Cour internationale de justice. Une question demeure : pourquoi se désinvestir des cinq banques israéliennes en ce début d’année 2014 ? Contacté par Mediapart, PGGM explique que « la décision a été prise après un processus de discussion/dialogue de près de trois années avec ces cinq banques. Et non, contrairement à ce qui a été écrit dans les médias, nous n’avons pas été en contact direct avec les gens de BDS », nous confie Wout Dekker, le directeur des relations publiques de PGGM.

La version du collectif BDS d’Amsterdam est tout autre : « Je crois que PGGM ne veut surtout pas être associé au terme “boycott”, qui leur semble déplaisant, comme à beaucoup de gens aux Pays-Bas, nous explique Sonja Zimmermann, qui coordonne les activités de BDS aux Pays-Bas. La formule “Boycott Israël” était très impopulaire lorsque nous avons commencé la campagne aux Pays-Bas. Ici, c’est très vite associé avec le fait de boycotter des magasins juifs, comme lors de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons dû faire œuvre de pédagogie car c’est toujours très sensible. »

Le lobbying de BDS envers PGGM remonte à plusieurs années. En 2011, quand le tribunal Russel pour la Palestine est créé à Londres, Hans Alders, du fonds de pension PFZW (dont la structure PGGM gère le portefeuille), est invité par BDS dans le cadre de sa campagne « sur la complicité des entreprises internationales avec l’occupation israélienne des Territoires ». « Avant même la mise en place du tribunal, de nombreuses organisations néerlandaises avaient écrit au fonds, se souvient Soja Zimmermann. J’étais moi-même directement impliquée dans ces démarches, en tant que coordonnatrice de la campagne BDS à l’époque, et dès 2009, nous leur avions explicitement demandé de se désinvestir de ces banques. » La décision de PGGM n’est pas une initiative isolée aux Pays-Bas. Fin décembre 2013 notamment, l’entreprise Vitens, fournisseur d’eau potable aux Pays-Bas, a annoncé sa volonté de mettre fin à son accord de coopération avec Mekorot, la compagnie nationale d’eau israélienne.

En pointe dans la campagne de boycott, les Pays-Bas demeurent ce pays paradoxal, qui s’est abstenu lors du vote de l’Assemblée générale de l’ONU le 29 novembre 2012 qui permit d’admettre la Palestine aux Nations unies avec le statut d’État non-membre. Ce pays considère alors officiellement que la Palestine n’avait de toute manière pas besoin de sa voix pour obtenir ce statut. Le positionnement du gouvernement néerlandais est pourtant pour beaucoup dans les positions adoptées par les entreprises qui ont choisi de « désinvestir », puisqu’il a officiellement découragé à plusieurs reprises, par la voix de son ministre des affaires étrangères, les investissements dans les entreprises et banques israéliennes dans les colonies. « Cela a sans doute eu une influence, et peut-être que le fonds s’est dit alors : "c’est le bon moment pour se retirer", commente Sonja Zimmermann, de BDS Pays-Bas. La Hollande a toujours été le grand ami d’Israël, et je crois que c’est cette image qui permet au gouvernement d’agir ainsi, grâce au crédit gagné auprès des Israéliens. »

Ailleurs en Europe, la décision PGGM n’est désormais qu’une initiative spectaculaire parmi d’autres. L’Allemagne elle-même a annoncé sa décision de cesser de financer les entreprises de high-tech qui traiteraient avec des entreprises implantées dans les colonies israéliennes en Cisjordanie (lire l’article du quotidien israélien Haaretz).

En mars 2014, c’est finalement l’« affaire Sodastream », du nom d’une entreprise israélienne spécialisée dans la fabrication d’appareils de gazéification de boissons, qui a porté la question du boycott sur le devant de la scène mondiale. Ayant suscité une vive controverse, l’actrice américaine Scarlett Johansson préfère quitter sa mission d’ambassadrice de l’ONG Oxfam plutôt que de renoncer à son contrat publicitaire avec la compagnie Sodastream, dont l’usine est située en Cisjordanie. Pour sa défense, l’actrice explique notamment que l’illégalité de l’occupation de la Cisjordanie par Israël et les résolutions des Nations unies ne lui paraissent pas pertinentes, de même que, selon elle, la fermeture de l’usine ne saurait constituer « une solution pour les travailleurs palestiniens » qui y sont employés.

Depuis le début de la campagne, l’ensemble des syndicats palestiniens sont pourtant adhérents de BDS. La convention de Genève proscrit par ailleurs la colonisation d’États occupés, et la commission européenne interdit désormais que les produits fabriqués dans les colonies de Cisjordanie soient exportés sous le label « made in Israël ». Davantage que l’argument légal, c’est l’aspect « moral » de cette affaire qui fait bondir les militants de BDS : « À Gaza comme en Cisjordanie, vous avez des Palestiniens sans citoyenneté qui vivent sous domination israélienne, témoigne Shir Hever, économiste israélien membre de l’organisation « Boycott from within », basée en Israël et affiliée à BDS. Et de manière graduelle, Israël confisque leurs terres, emploient des Palestiniens à des salaires très faibles, et qui ne sont pas traités de la même manière qu’un travailleur israélien. Le pire, s’émeut Shir Hever, c’est de voir les patrons de ces entreprises utiliser les employés palestiniens comme des "otages" contre les menaces BDS. Les syndicats palestiniens soutiennent BDS, en dépit des pertes d’emplois que cela peut entraîner, parce que les Palestiniens voient très bien ce que fait Israël, et qu’ils sont prêts à payer le prix pour lutter contre la dépossession de leur terre. »

Que l’on prenne le parti de l’actrice américaine, des militants d’Oxfam ou de ceux de BDS, l’affaire Sodastream a mis en lumière la question du boycott comme jamais auparavant. « Sodastream a révélé au grand public un mouvement de fond, explique le chercheur Julien Salingue. C’est l’image de la taupe, qui creuse ses galeries : ce n’est qu’au moment où elle sort que l’on se rend compte de ce qui a été creusé. Un mouvement massif s’est aujourd’hui développé à l’échelle internationale, et en Israël, on en a conscience depuis un certain temps maintenant, avec notamment la volonté de mettre en place une législation répressive contre BDS. »

En Israël, la plupart des responsables politiques continuent cependant de nier l’impact d’un phénomène par ailleurs difficilement quantifiable sur le plan économique.

« Ce boycott, c’est du bluff »

En Israël, la question du boycott a longtemps été taboue. Pour certains membres du Likoud, le parti du premier ministre Benjamin Nétanyahou, elle ne se pose d’ailleurs même pas. « C’est du bluff ! affirme à Mediapart Emmanuel Navon, professeur de relations internationales à l’université Ben Gourion de Tel-Aviv et membre du comité central du Likoud. Je pense d’abord que l’économie israélienne est "in-boycottable", parce que beaucoup trop développée, et incontournable, et en particulier pour l’Europe qui a besoin de technologies israéliennes. Du point de vue économique, Israël n’a donc rien à voir avec l’Afrique du Sud, qui intéressait surtout les Occidentaux pour les débouchés en matière de vente d’armes. »

Emmanuel Navon, qui réside lui-même dans une colonie près de Jérusalem, ne s’inquiète pas plus des éventuelles sanctions venues de l’Union européenne : « La communauté européenne a toujours été contre l’occupation, en tout cas depuis la guerre du Kippour en 1973, affirme-t-il. Rien de nouveau là-dessus. En revanche, il est intéressant de voir la politique du deux poids, deux mesures, de la commission et des gouvernements européens, qui financent des projets turcs dans la partie occupée au nord de Chypre. Récemment, la commission a également signé un accord de pêche avec le Maroc qui inclut le Sahara occidental… Si les tribunaux européens se mettaient à valider les plaintes de BDS, cela ouvrirait une boîte de Pandore bien au-delà du cas israélien. »

Navon envisage la question du boycott séparément de BDS. Pour lui, elle émane en fait directement de la gauche israélienne. « Il s’agit en réalité d’un boycott "Made in Israël", porté par des gens de gauche comme Alon Liel, qui a écrit notamment un article dans lequel il explique qu’Israël ne peut faire la paix sans pression de l’extérieur, affirme-t-il. Autrement dit, la gauche emploie l’argument des sanctions internationales parce qu’elle n’arrive pas à convaincre les Israéliens de voter pour elle lors des élections. Et puis, il faut aussi ramener le phénomène à ses véritables proportions : quand la banque danoise Danske bank a annoncé qu’elle retirait ses investissements de la banque Hapoalim, ces investissements étaient de toute manière très faibles. En outre, l’annonce de PGGM a eu pour effet de pousser son concurrent hollandais à affirmer qu’il n’avait aucune intention de boycotter Israël. C’est donc une tempête dans un verre d’eau. »

Du bluff, le boycott ? Mesurer concrètement son impact relève du parfait casse-tête. Aucun des dirigeants d’entreprises israéliennes contactés par Mediapart n’a souhaité communiquer sur ce sujet qui relève pour eux du tabou absolu. Quantifier l’impact du boycott demanderait d’avoir accès aux comptes des entreprises, et recueillir des données poussées pour déterminer si la baisse éventuelle de recettes dépend des fluctuations du marché ou des effets du boycott. « Vous voudriez qu’elles vous donnent accès à leurs données, pour pouvoir protester ensuite auprès du gouvernement qui, par ses choix politiques, les empêche de gagner de l’argent, estime Shir Hever, économiste israélien, membre de « Boycott from within » en Israël, un groupe associé à BDS... La réalité, c’est que les entreprises préfèrent cacher le fait qu’elles perdent de l’argent. Un ami qui travaille dans une entreprise high-tech m’avait confié en 2010 qu’ils avaient perdu ainsi un contrat de 8 millions de dollars, avant de me demander de ne rien en dire. Les entreprises pensent encore que le meilleur moyen de lutter contre BDS, c’est de nier son existence. En ce sens, elles sont complices du gouvernement. »

Restent les données transmises par Boycott from within. Après l’invasion de Gaza en janvier 2009, l’organisation représentant l’ensemble du secteur industriel israélien, Manufacturers Association of Israel, avait demandé, selon Shir Hever, aux compagnies israéliennes exportatrices si elles avaient été affectées par le boycott, et dans quelles proportions. Parmi elles, 21 % répondaient « oui », et estimaient leurs pertes à 10 % de leurs exportations. « Le sondage n’a pas été rendu public, explique l’économiste israélien. En faisant une projection, vous pouvez facilement estimer que 2 % des exportations ont été perdus cette année-là. 2 %, c’est énorme, car cela suffit à ce que l’économie israélienne ressente les effets de ce boycott. De même, lorsque les artistes ont commencé à boycotter Israël, les producteurs ont demandé une cession extraordinaire en 2011 à la Knesset (Parlement israélien), au cours de laquelle ils ont mentionné le chiffre de 10 millions de dollars de pertes. Pour un secteur d’activité, c’est significatif. » Autre élément de contexte : la tenue d’une première réunion de crise, organisée dès 2011 et rassemblant les 80 entrepreneurs israéliens les plus importants pour traiter de la menace du boycott.

Mais les données économiques ne constituent pas l’unique indicateur qui permette de mesurer l’impact du boycott. « Nétanyahou a fait une déclaration à Davos en janvier cette année pour dire qu’il considérait BDS comme une organisation d’antisémites, rappelle Shir Hever. C’est très intéressant, car ces dernières années, le ministère des affaires étrangères a été très prudent. Cette sortie de Nétanyahou montre bien que le gouvernement est arrivé à court d’argument. Désormais, ils abattent leur dernière carte, celle de l’accusation d’antisémitisme, alors même que BDS inclut de nombreux membres de la communauté juive de par le monde. »

Pourquoi Shir Hever s’est-il lui-même impliqué dans la campagne pour le boycott ? « En tant qu’Israélien, et en tant que Juif, j’ai grandi dans ce pays en estimant que vouloir vivre dans une démocratie, avec les mêmes droits pour tous, n’était pas quelque chose d’incongru, et ne faisait pas de moi quelqu’un de fou ou de radical, confie-t-il. Je comprends que les Palestiniens souhaitent se battre pour leurs droits légitimes. Et je m’interroge : quelle est la meilleure façon pour eux de le faire ? En Algérie, les habitants ont combattu les Français, il y a eu des centaines de milliers des morts. C’est dans mon intérêt, en tant qu’Israélien et en tant que Juif, que les Palestiniens choisissent une méthode pacifique de lutte pour obtenir leur liberté. Et BDS représente cette option. BDS ne fait pas le siège d’Israël comme Israël le fait contre Gaza. BDS est beaucoup plus sélectif, fondé sur les droits de l’homme, et ne vise pas à créer un État seulement ouvert aux musulmans ou aux Arabes. » Shir Hever considère son rôle et celui de son organisation comme celui d’un lanceur d’alerte, dont la tâche est de récolter des documents et témoignages sur les entreprises israéliennes qui feraient mention d’adresses en Israël sur leurs produits pour pouvoir les exporter en Europe, et installent cependant leurs usine en Cisjordanie, dans les colonies. « Le cas le plus célèbre, c’est Sodastream, glisse Shir Hever. J’ai vu de mes propres yeux comment les poivrons, cultivés dans la vallée du Jourdain par des Palestiniens, sont mélangés avec des poivrons cultivés en Israël, avant l’export, sous l’étiquette “Made in Israël”. »

Au sein de la société israélienne, Boycott from within ne regroupe qu’une poignée de militants actifs et demeure largement minoritaire, y compris au sein des organisations de gauche qui soutiennent la solution à deux États. En septembre 2011, Mediapart rencontrait Yael Patir alors qu’elle menait la campagne “ 50 raisons pour lesquelles Israël devrait reconnaître l’État palestinien ” à destination des citoyens israéliens. Sa position sur le boycott était alors mitigée : « Il arrivera peut-être un moment où je vous dirai : va pour le boycott, car nous n’avons plus d’autre option. Mais je ne crois pas que nous y sommes. » Aujourd’hui employée par le lobby israélien J-Street (qui milite entre autres auprès des représentants du congrès américain pour les sensibiliser à la nécessité d’aboutir à une solution à deux États), la jeune femme continue de placer sa réflexion dans le cadre classique du processus de paix israélo-palestinien, en écartant la question du boycott : « Quand vous évoquez la question de la pression (internationale à exercer sur le gouvernement israélien), celle-ci peut prendre bien des formes, estimait Yaël Patir, interrogée à nouveau fin mars 2014 par Mediapart. Vous pouvez par exemple penser à des pressions positives et incitatives, comme le package offert par l’Union européenne en échange de progrès sur le front palestinien. Cela étant dit, je pense que boycotter Israël n’apportera tout simplement aucun résultat à court terme. »

En Israël, aucun parti politique ne soutient BDS. Les partis de gauche Meretz et Khadash soutiennent cependant le boycott des produits des colonies. « En Israël, tous les partis sionistes (sous-entendu toutes les organisations à l’exception des communistes de Khadash) sont très clairs sur le fait qu’ils rejettent les frontières de 1967, l’idée d’un État démocratique avec les mêmes droits pour tous, et le retour des réfugiés, souligne Shir Hever. Essayer de convaincre le gouvernement israélien est ridicule. C’est la même chose qu’avec l’Afrique du Sud, et l’idée que l’on pouvait convaincre le gouvernement d’apartheid de donner des droits aux populations marginalisées. Ça ne marche pas comme ça. Les Palestiniens luttent pour leur libération, et à un certain point, le gouvernement israélien n’aura pas d’autre choix que de l’accepter. »

En attendant, une loi votée à la Knesset condamne tout Israélien qui soutiendrait le boycott, et autorise toute entreprise qui s’estimera victime de ce boycott à porter plainte et exiger des compensations des entreprises israéliennes ou internationales qui le soutiendraient. Le texte n’a cependant, pour l’heure, jamais été appliqué par un tribunal car il fait toujours l’objet d’un débat au sein de la Haute cour constitutionnelle.

Ce type de loi constitue toutefois l’une des réponses appropriées face à BDS, selon Emmanuel Navon, du Likoud : « La riposte de Benjamin Nétanyahou est à la hauteur, juge-t-il. Si les sociétés internationales veulent céder aux menaces de BDS, qu’elles sachent qu’Israël a tout à fait les moyens de mener des campagnes contre elles pour dénoncer leurs investissements dans des dizaines de territoires occupés dans le monde… »

Ce traitement légal réservé aux Israéliens partisans du boycott n’est pas unique au monde. Un autre pays est observé avec inquiétude par les membres de la campagne BDS. Il s’agit de la France.

En France, la menace judiciaire

« Dieu merci, nous ne sommes pas traités de la même manière que les militants français, soupire Sonja Zimmermann, de BDS Pays-Bas. Ce qui se passe chez vous nous inquiète d’ailleurs beaucoup. Encore une fois, notre chance est d’avoir le gouvernement avec nous. » En France, les procès se sont multipliés depuis 2010 contre les militants de BDS, principalement des actions de ce type dans des supermarchés mettant en vente des produits israéliens :

Assimilé à de l’incitation à la haine raciale et à la discrimination, l’appel au boycott est alors considéré en France comme une infraction pénale, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 euros et un an d’emprisonnement, conformément à l’article 24 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. À l’origine de la plupart des poursuites contre les militants BDS, la « circulaire Alliot-Marie » (du nom de la ministre de la justice alors en poste) diffusée le 12 février 2010, et par laquelle le ministère demande aux procureurs de la République d’assurer une répression « ferme et cohérente » des actions de boycott, la chancellerie considérant tout appel au boycott des produits d’un pays comme une « provocation publique à la discrimination envers une nation ».

Depuis l’arrivée de Christiane Taubira au poste de garde des Sceaux en 2012, les condamnations n’ont pas cessé. À la suite de deux actions dans des magasins Carrefour en septembre 2009 et mai 2010, douze militants de BDS ont notamment été poursuivis pour incitation à la discrimination et à la haine raciale, à la suite de plaintes de la chambre de commerce France-Israël, l’Alliance France-Israël, le Bureau de vigilance contre l’antisémitisme, Avocats sans frontières et la Licra. Ces militants ont été relaxés par le tribunal correctionnel de Mulhouse le 17 novembre 2011. Une décision dont le parquet général a fait appel. Les douze militants BDS ont finalement été condamnés le 27 novembre 2013 par la cour d’appel à 1000 euros d’amende avec sursis, mais également à verser 120 euros par personne de droit fixe de procédure et 28 000 euros de dommages et intérêts et de frais de justice, à répartir entre les différentes organisations plaignantes… « C’est un acharnement systématique pour faire taire les militants de la campagne, parce qu’elle prend de l’ampleur, estime Imen Habib, une des coordinatrices du mouvement BDS France, qui réunit plus de 40 associations et organisations politiques, dont le Parti de gauche, qui l’a rejoint récemment, la confédération paysanne, Artisan du monde ou l’Union juive française pour la paix.

Partie civile dans le procès de Mulhouse, la Licra rejette l’idée « d’acharnement » avancée par BDS. « Nous sommes une association universaliste, qui a par conséquent vocation à se saisir de l’ensemble des faits de nature raciste et antisémite et donc à se constituer partie civile, déclare à Mediapart l’avocat Rodolphe Cohen, président de la Licra-Mulhouse et membre du bureau exécutif de la Licra. Concernant les faits de Mulhouse, nous avons considéré que les propos tenus et ceux pour lesquels les douze prévenus étaient poursuivis étaient constitutifs d’incitation à la haine raciale. À mon sens, le slogan qui dit "acheter des produits israéliens, c’est cautionner les crimes de Gaza" (perpétrés par l’armée israélienne contre Gaza, notamment durant l’opération Plomb durci à l’hiver 2008-2009, où près de la moitié des 1400 victimes palestiniennes furent des civils), c’est dire que les producteurs israéliens sont des criminels. Dire cela, c’est de l’incitation à la haine raciale, ou nationale. »

Rodolphe Cohen souligne le fait que la Licra n’est pas partie civile dans tous les procès BDS, et estime que l’affaire de Mulhouse n’« a rien à voir » avec d’autres actions, qui dénoncent l’existence « Made in Israël » sur les produits fabriqués en Palestine. Toutes les décisions de justice ne vont d’ailleurs pas dans le même sens que celle de Mulhouse. Mercredi 5 février, la cour d’appel de Paris a ainsi prononcé la nullité des poursuites à l’encontre de quatre militants BDS et l’irrecevabilité de la constitution de partie civile pour la Chambre de commerce France-Israël.

Dans l’argumentaire du président de la Licra-Mulhouse, la frontière entre les deux actions en justice demeure pourtant subtile, puisqu’il considère tout de même que « demander le boycott d’une catégorie de producteurs en fonction de leur nationalité, c’est un appel à la discrimination ». La relation directe que propose ici Rodolphe Cohen entre boycott et appel à la discrimination ne contiendrait-elle pas un part de subjectivité ? « Bien sûr, il y a là place à l’interprétation des tribunaux, concède-t-il. Mais dans les cas qui nous intéressent, ils ont considéré qu’il s’agissait bien d’incitation à la discrimination, y compris au niveau de la Cour de cassation. »

Comment prendre en compte alors dans ce raisonnement les directives de l’Union européenne, qui interdisent de subvention toute entreprise ou organisation israélienne installée dans les territoires occupés ? Ne s’agit-il pas ici d’une mesure de boycott de la part de l’UE ? Peut-on donc l’associer directement à une « incitation à la discrimination » ? « C’est autre chose, l’arrêt de subventions, c’est une décision politique de la part de l’Union européenne », estime Rodolphe Cohen. Et la décision de PGGM de ne plus investir dans cinq banques israéliennes, ne relève-t-elle pas du même type de raisonnement que celles des militants de BDS ? « Sans doute, mais ce n’est pas un raisonnement qui entre dans le cadre de notre législation française. Encore une fois, tout dépend des termes employés. »

Malgré ces difficultés judiciaires, le mouvement BDS progresse en France, principalement par le biais du boycott culturel. Un appel d’illustrateurs invités à Angoulême contre le partenariat conclu par le festival de bande dessinée avec Sodastream a suscité une large couverture médiatique (lire notamment l’article du Parisien), sans toutefois que le directeur du festival ne cède. Mais d’autres actions de lobbying des partisans du boycott ont été couronnées de succès. « Parmi les derniers artistes à s’être prononcés, Titi Robin a fait une déclaration pour dire qu’il n’ira pas chanter à Jérusalem, devant un public israélien alors que les Palestiniens, qui habitent à quelques kilomètres de là, ne pourraient pas venir l’écouter, rappelle Imen Habib. Cela n’aurait certainement pas été le cas il y a quelques années. »

BDS construit en outre son argumentaire à destination du monde universitaire autour de la décision, annoncée le 16 décembre 2013, de l’un des principaux syndicats américains d’enseignants-chercheurs, l’Association of American Studies, de rejoindre la campagne de boycott universitaire d’Israël.

Observateur attentif de la campagne BDS, le professeur à l’université Ben Gourion de Tel-Aviv, Emmanuel Navon, par ailleurs membre du comité central du Likoud, prend l’exemple des procès intentés cette fois par BDS contre des sociétés internationales impliquées dans les colonies israéliennes pour conclure qu’« au contraire, la dynamique BDS s’affaiblit, les militants perdent procès sur procès. Le 22 mars 2013, rappelle-t-il, la cour d’appel de Versailles a notamment rejeté la plainte de l’association France-Palestine contre la société Alsthom, qui a construit le tramway de Jérusalem, en estimant que même si l’on considère que Jérusalem-Est est occupé, la convention de Genève permet tout à fait à l’occupant de construire des infrastructures. Le 23 janvier 2014, c’est la Cour de cassation qui a confirmé la condamnation de France-Palestine qui voulait boycotter le produit Sodastream en France. »

Malgré ces démêlés judiciaires, le phénomène BDS a pris une telle ampleur qu’en Palestine, certains l’envisagent désormais comme une solution politique à part entière, face à la division du leadership palestinien entre Gaza et la Cisjordanie, qui dure depuis 2006.

Demain, la fin de l’occupation grâce à BDS ?

Si incertain qu’il puisse parfois paraître, le succès croissant de BDS ne doit rien au hasard. « Les Palestiniens ont lancé cet appel au boycott après avoir conduit des études économiques, explique Shir Hever, de Boycott from within. Ils ne peuvent pas détruire l’économie israélienne, ils le savent. Le but de BDS, c’est que les Israéliens prennent conscience que la communauté internationale se rend compte de ce que fait Israël, l’apartheid, l’occupation, la colonisation, et qu’elle ne l’accepte plus. De ce point de vue, le boycott est un véritable succès. Comme en Afrique du Sud, à la fin, ce sont les gouvernements qui prendront le relais, et sanctionneront Israël. »

Comme Arafat en son temps, qui était parvenu à introduire la lutte des Palestiniens dans les salons et chancelleries du monde, BDS ravive un sujet devenu marginal avec l’enlisement des négociations de paix, puis le début et les conséquences du printemps arabe.

De plus en plus de Palestiniens en sont convaincus, des syndicats aux représentants des associations membres de BDS : face à la division du leadership palestinien, et l’incapacité du processus de paix à mettre fin à l’occupation israélienne, les seuls progrès obtenus ces derniers années l’ont été grâce à la campagne de boycott. Jusqu’à faire émerger une nouvelle force politique ? « À ce jour, nous n’avons pas de mandat démocratique pour diriger, explique Omar Barghouti. La plupart des Palestiniens se sentent dépourvus de "leaders". Le mouvement BDS, bien que soutenu par une large majorité de partis palestiniens, syndicats et organisations, dont beaucoup liées au Fatah, est un mouvement pour les droits humains, et non politique. Il n’est pas mandaté pour jouer un rôle politique en tant que tel. BDS ne peut pas remplacer les partis politiques et le rôle que l’on attendrait qu’ils jouent. »

En Palestine, le mouvement a pourtant acquis un poids politique considérable, jusqu’à embarrasser les partis classiques. « Il y a d’abord eu de la défiance de la part de l’Autorité et du Hamas, parce que c’était nouveau et autonome, et cela a été perçu comme une contestation du leadership, explique le chercheur Julien Salingue. Le mouvement se développant, et les animateurs ayant eu la présence d’esprit de faire un appel le plus large et unitaire possible au sein du camp palestinien, il n’y a pas eu de prise de position officielle contre BDS. Côté Autorité, il y a cependant le problème né du processus négocié : à partir du moment où le mouvement BDS appelle à boycotter les représentants israéliens, y compris diplomatiquement et politiquement, il y a un angle mort, puisque la direction de l’Autorité demeure en négociation permanente avec Israël. » Pour l’Autorité palestinienne, l’autre écueil est économique, alors que les partenariats entre les dirigeants palestiniens et les entreprises israéliennes se sont multipliés. « Il y a trois ans, rappelle Julien Salingue, l’ancien premier ministre Salam Fayyad a tenté de transformer BDS en campagne de boycott des produits des colonies, avec la destruction symbolique de produits dans les supermarchés palestiniens, etc. Cette tentative de détournement et de récupération de la campagne a échoué, car les animateurs de BDS ont construit leur légitimité à l’échelle internationale. »

Reste que le basculement, si la stratégie du boycott s’avère efficace, devra se faire en Israël, et non dans les territoires palestiniens. Quel type d’isolement pourrait, au bout du compte, pousser les Israéliens eux-mêmes à faire pression sur leur gouvernement pour un changement de politique à l’égard des Palestiniens ? « C’est une question très intéressante : quand les Israéliens ouvriront-ils enfin les yeux ? s’interroge Shir Hever, cet économiste israélien, membre de Boycott from within en Israël. Pour l’Afrique du Sud, plusieurs chercheurs estiment que c’est au moment où les équipes sportives n’ont plus été autorisées à participer à des tournois internationaux, que la population a commencé à se réveiller. En Israël, nous n’en sommes pas encore là. Mais le boycott culturel a bien un impact, quand les artistes, tel Elvis Costello, ont commencé à refuser de venir jouer en Israël du fait de la colonisation. C’est grâce à ce type d’action que l’on voit des reportages et qu’on lit des articles consacrés au boycott en Israël. » Depuis, plusieurs dizaines d’artistes ont refusé de se produire en Israël. Pour Omar Barghouti, l’issue est plus proche que jamais : « Israël reconnaît désormais officiellement BDS comme une "menace stratégique". Notre "moment sud-africain" » va finir par survenir. »