Accueil > Sociétés Civiles à Parlement Européen > Neuf mille à trois : le score de l’équipe qui triche

Merci à Bernard Langlois et à Politis

Neuf mille à trois : le score de l’équipe qui triche

par François Burgat

lundi 24 juillet 2006

Bernard Langlois :

Comme cela m’arrive parfois, j’ai offert cette semaine l’espace de ce bloc-notes à un invité. Il s’agit de François Burgat, universitaire et chercheur bien connu, spécialiste du monde arabo-musulman (1).

Le texte qui suit, je l’ai trouvé sur le site oumma.com (2). Il traite de cette actualité brûlante, de ce nouvel embrasement au Proche-Orient ­ c’était avant même les bombardements massifs sur le Liban ­, où vacille la paix du monde. Il est volontairement partial, parce qu’aux yeux de Burgat, comme aux miens, il est obscène de renvoyer dos à dos ­ comme l’a fait Chirac dans son entretien du 14 juillet, comme vient encore de le faire le G 8 sous la pression américaine ­ l’agresseur et l’agressé, le colon et le colonisé, le puissant et le faible, le marteau-pilon et la mouche. Dans cet article, l’universitaire s’adresse à un public populaire, aux jeunes des banlieues notamment, tous ceux qui ont vibré aux exploits de Zidane. Il utilise, à leur destination, une langue qui peut leur parler, celle de la métaphore sportive, où ils se reconnaissent. Quand, par facilité, nous employons le terme « conflit israélo-palestinien », nous accréditons l’idée fausse d’une confrontation entre deux protagonistes égaux en droit, en moyens, soumis à des règles équitables. Burgat fait litière de cette vision des choses, que l’on voudrait nous faire prendre pour la vérité et la juste raison. On devrait étudier ce texte dans toutes les écoles de journalisme... Voici donc, avec bien sûr l’autorisation de son auteur :

Neuf mille à trois : le score de l’équipe qui triche !

Par François Burgat

« Au Proche-Orient, le dernier-né du couple vieillissant États-Unis/Europe, enfant gâté, laissé sans surveillance, est en passe d’entraîner père et mère vers une confrontation généralisée. Son dernier caprice consiste à mettre la région à feu et à sang pour réparer l’affront que lui ont fait deux de ses voisins : n’ont-ils pas osé, à lui qui en détient plus de neuf mille, faire... trois prisonniers !

Le rappel du dernier épisode de cette dérive ­ celui de l’assaut donné à la bande de Gaza ­ permet de comprendre pourquoi de plus en plus de spectateurs de ce "mondial"-là s’interrogent sur les méthodes d’une équipe qui, à l’abri de toute sanction, évolue en évidente situation de hors-jeu !

Le dispositif de sécurité. Pour séparer les supporters des deux équipes, les officiels israéliens n’ont pas hésité à construire, sur plusieurs centaines de kilomètres, une barrière de sécurité de six mètres de haut ! Plus encore que son principe, c’est le tracé de cette barrière qui pose problème : elle permet en effet à l’équipe israélienne de s’approprier une partie substantielle des tribunes palestiniennes ! De surcroît, elle coupe en deux le camp des supporters palestiniens, interdisant à ceux de la Cisjordanie de venir soutenir ceux de Gaza et inversement !

Les sélectionneurs. Les équipes des deux camps ont été sélectionnées par un vote de leur public respectif. Le choix du sélectionneur/public israélien n’a jamais été contesté, même lorsque, régulièrement, il désigne des joueurs portant une longue barbe. Les fédérations occidentales et les sponsors européens ­ après avoir encouragé bruyamment le renouvellement d’une équipe notoirement corrompue ­ ont décidé en revanche de boycotter les nouveaux élus palestiniens sous prétexte que le choix du public sélectionneur ne leur convenait pas !

La tactique des équipes. Les statistiques et les caméras l’attestent. La stratégie de l’équipe palestinienne, dont la capacité offensive est constamment surévaluée, est essentiellement défensive. C’est sur son terrain, voire à l’intérieur de sa surface de réparation ­ où l’herbe a d’ailleurs de plus en plus de difficulté à repousser ­, que se déroule l’essentiel de la rencontre. Tout en insistant sur sa vocation défensive, l’"équipe de défense d’Israël" cherche au contraire depuis près de quarante ans à occuper le plus de terrain possible. Une fois ses joueurs entrés en force dans le camp de l’équipe adverse, elle n’hésite pas, en dépit des règles explicites de la Fédération mondiale unie, à les y implanter de façon permanente !

La météo du match. Par 40 degrés à l’ombre, l’avantage technologique de l’équipe israélienne est d’autant plus net qu’elle n’a pas hésité à faire couper l’électricité dans les vestiaires de l’équipe palestinienne !

L’approvisionnement des joueurs. Le ravitaillement des joueurs palestiniens est suspendu ! Par l’Égypte, dont la frontière est bouclée, il est tout aussi impossible par mer ou par air : dès les phases préliminaires de la rencontre, l’équipe israélienne a fait détruire port et aéroport de son challenger. Et elle confisque aujourd’hui les taxes douanières des produits que l’équipe palestinienne est obligée de faire transiter par son territoire !

L’arbitrage. L’attitude des représentants de la Fédération mondiale unie et de la Fédération européenne, présents dans l’enceinte de la rencontre, ne cesse de surprendre : leurs regards dirigés vers un seul des deux côtés de la tribune officielle, ils tournent en fait purement et simplement le dos au terrain !

Les réservistes. Les candidats au soutien à l’équipe palestinienne, surnommés "djihadistes", sont l’objet d’une hostilité systématique des autorités de leur pays d’origine, de la Fédération mondiale unie et des fédérations régionales, qui s’efforcent par tous moyens de leur interdire l’accès du terrain. Les partenaires internationaux de l’équipe israélienne disposent en revanche d’un statut beaucoup plus avantageux : ces "réservistes binationaux de Tsahal" peuvent en effet affluer du monde entier sans rencontrer le moindre obstacle !

Les attaquants. Pour garantir le rythme et la terrifiante précision de ses tirs, l’équipe israélienne a les moyens de déplacer ses tireurs par voies aérienne et maritime aussi bien que terrestre. Pour conserver un minimum de mobilité, l’équipe palestinienne, dotée seulement d’une "artillerie" obsolète et artisanale, est réduite pour sa part à se déplacer... en creusant des tunnels !

Le service de presse. Grâce à la puissance de ses sponsors autant qu’à ses trouvailles innovantes (comme celle de faire endosser à ses plus ardents supporteurs des maillots d’« experts » !), l’équipe israélienne sélectionne, aussi soigneusement que ses propres joueurs, les journalistes autorisés à rapporter leurs exploits, et s’assure le monopole de retransmission de la rencontre !

Hormis quelques chaînes régionales émettant dans une langue incompréhensible à la plus grande partie du public, l’équipe palestinienne ne dispose quant à elle que de relais médiatiques très marginaux. Ses supporters régionaux sont certes nombreux et très mobilisés. Ils sont toutefois très mal encadrés par des dirigeants de fédérations souvent corrompus. Des cas de collusion avec les officiels israéliens sont même régulièrement dénoncés : ils seraient le résultat des pressions financières exercées par la puissante fédération américaine.

Les espoirs des supporters palestiniens. La motivation des joueurs palestiniens, qui jouent « à domicile », demeure plus forte que celle de l’équipe israélienne, qui joue « à l’extérieur ». De surcroît, chez les supporters israéliens, une certaine lassitude devient perceptible : les « plongeons de dix mètres » à la mode de Ronaldo, la multiplication des recours aux « mains de Dieu » à la Maradona, les commentaires tronqués du service de presse officiel, les interdictions qui frappent de plus en plus fréquemment les spectateurs étrangers désireux de rejoindre la tribune palestinienne, bref, tous les raccourcis douteux qu’emprunte l’équipe israélienne font monter, jusque dans les tribunes officielles, des rumeurs réprobatrices.

Les membres du prestigieux « Club des supporters de la légalité internationale » ont-ils conscience du coût de leur navrant silence ? Incapables de rappeler l’une de leurs équipes au respect des règles élémentaires, réalisent-ils qu’ils sont en passe de priver leur vieille institution de toute crédibilité ? Et que c’est leur propre équipe qui va inévitablement payer, un jour, le prix de cette vilaine « loi de la jungle » qu’ils laissent appliquer impunément ?

F. B.

____________________________________________________________________________________________________

(1) Dernier ouvrage paru : l’Islamisme à l’heure d’Al-Qaïda, La Découverte, 2005, 15 euros.

(2) Site francophone très suivi (il revendique six millions de visites par mois), il définit ainsi son objet : « Le site oumma.com fait circuler l’information sur la vie cultuelle et culturelle de la deuxième religion de France ; organise le débat d’idées sur l’intégration et la représentation de l’islam en Europe et partout dans le monde francophone ; et mène le dialogue avec les autres confessions et courants d’idées ; tisse des liens entre l’intelligentsia musulmane, les responsables d’associations, les autorités publiques, les acteurs sociaux et le monde des médias. Le site oumma.com travaille également à la réduction des perceptions négatives du fait musulman en France, car cette partie de la population (plus de 5 millions de personnes dont la moitié de nationaux français) a droit à un traitement rationnel, à une image valorisante et critique de sa religion et de sa culture. »