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L’aveu ! (ndlr)

La rhétorique de l’antisémitisme au crible du pilpoul

Mardi, 4 février 2014 - 7h32 AM

mardi 4 février 2014

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Le 4 février 2014

En France, des esprits peu scrupuleux ont fait de la chasse aux antisémites leur spécialité.

Invité par Jean-Jacques Bourdin pour évoquer l’actualité récente, Alain Finkielkraut s’est livré à une étrange démonstration en forme de syllogisme. Interrogé sur la quenelle, voici ce qu’il lui a répondu : « Une France multiethnique se constitue autour de Dieudonné à travers ce geste obscène de la quenelle, geste anti-système peut-être, mais dans la mesure où le système, c’est le sionisme, geste antisémite ! »

A priori, la réplique semble anodine et, pourtant, elle ne manque pas d’intérêt. Imaginons un instant la proposition inverse : la quenelle est un geste anti-système, le système est sioniste, donc la quenelle n’est pas antisémite. Laquelle des deux vous paraît valide ? Contrairement aux apparences, c’est bien la seconde qui est logiquement correcte car, par définition, l’antisémitisme ne devrait pas avoir de cause qui ne soit commune à l’ensemble des juifs, raison pour laquelle l’antisémitisme, en droit, est traité comme une forme de racisme spécifique. Aussi, la proposition de Finkielkraut est aussi fausse que dire à propos d’un militant communiste : le poing levé est anti-système, le système est capitaliste, donc c’est un geste anti-américain (même si 99 % des Américains sont pour le système capitaliste, ce qui reste d’ailleurs à prouver).

L’antisémitisme, le vrai, a disparu sous les décombres de Berlin en 1945, à telle enseigne que, deux ans plus tard, l’État d’Israël naissait avec le soutien unanime des peuples européens émus par le sort des juifs pendant la guerre. L’historien américain (et juif) Peter Novick 1 a parfaitement expliqué pourquoi cette « normalisation » pouvait être fatale à la cohésion d’un peuple cimenté tout au long de son histoire par les persécutions dont il avait été l’objet. Le concept de nouvel antisémitisme a alors été inventé aux États-Unis, officiellement en réaction contre les mouvements libertaires des années 70 opposés à l’establishment et à la politique expansionniste d’Israël en Cisjordanie. Extraordinaire tour de passe-passe qui fit passer pour du racisme la critique d’une action politique.

Depuis, le champ d’application du mot antisémitisme n’a cessé de s’élargir avec aujourd’hui une double finalité, soit diaboliser toute personne suspectée de ne pas soutenir de manière inconditionnelle l’État d’Israël, soit exonérer toute personne juive de sa responsabilité pour des actes ou des paroles qui, prononcées par une personne non juive, vaudraient condamnation. Le législateur s’en est mêlé et les médias ont joué à merveille leur rôle de caisse de résonance. À ce jour, les victimes de l’accusation d’antisémitisme sont légion : les musulmans bien sûr, l’extrême droite, l’extrême gauche, les écologistes, l’Assemblée générale de l’ONU, les sceptiques du 11 septembre, mais aussi des personnalités parfois tout à fait improbables comme Edgar Morin, Stéphane Hessel, Charles Enderlin, Renaud Camus, Pierre Péan, Mel Gibson, Walt Disney, Mélenchon, Bobby Fisher, Kanye West, John Galliano, Oliver Stone, Roger Waters, Julian Assange, Donald Trump, Charles de Gaulle, Marlon Brando, Ted Turner, Alain Badiou, Michel Onfray, pour ne citer que ceux qui me viennent à l’esprit.

En France, des esprits peu scrupuleux ont fait de la chasse aux antisémites leur spécialité. Une question piège et hors de propos, une réponse hésitante ou nuancée et le couperet tombe. Aussi, lorsque j’écoute Alain Finkielkraut, non pas parce qu’il serait le pire — il en est loin —, mais plutôt parce qu’il devrait montrer le bon exemple, je me dis parfois que la philosophie est déshonorée.

Source : Voltaire