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Opinion - Par Béchir Ben Yahmed

« Les Palestine de M. Kerry »

Vendredi, 17 janvier 2014 - 18h41

vendredi 17 janvier 2014

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"S’il se confirmait, comme on peut l’espérer (ou le craindre), ce serait l’événement de l’année, sinon de la décennie, car on l’attendait depuis si longtemps qu’on avait cessé de le croire possible.

On annonce, en effet, pour les toutes prochaines semaines le schéma général d’un accord israélo-palestinien, voire israélo-arabe, déjà élaboré et dont il ne reste à négocier et à fixer que les derniers détails.
Il a été rédigé par les Américains et obtenu à l’arraché par leur secrétaire d’État, John Kerry, qui s’y est beaucoup employé au cours des six derniers mois.

Il a multiplié les navettes moyen-orientales et accepté de leur consacrer l’essentiel de son temps. Il a bravé le scepticisme général et ignoré les ricanements de tous ceux qui se disaient sûrs de son échec.

À ce stade, l’affaire est encore enveloppée de secret, et ce qu’on en sait ne peut être révélé qu’avec prudence. Je me hasarde tout de même à vous en parler sur la base de ce que j’ai appris et que je crois vrai.

Lorsqu’il s’est attaqué à ce problème réputé insoluble (et sur lequel se sont cassé les dents tous ses prédécesseurs, de Warren Christopher à Hillary Clinton en passant par Madeleine Albright, Colin Powell et Condoleezza Rice), John Kerry savait pertinemment qu’il ne pouvait (presque) rien imposer aux Israéliens.

Il avait en face de lui Benyamin Netanyahou et Avigdor Lieberman, solidement installés au pouvoir, représentatifs de la droite et de l’extrême droite israéliennes, hostiles à toute concession un tant soit peu importante aux Palestiniens et aux Arabes en général : pas de retour d’Israël à ses frontières de 1967, pas de vrai État palestinien, pas de partage de Jérusalem, pas de prise en considération du sort des réfugiés palestiniens - "pas un seul ne reviendra en Israël", a répété cette semaine Avigdor Lieberman.

Comment, dans ces conditions, progresser pas à pas vers un accord et ensuite l’atteindre ?

En faisant en sorte que l’essentiel des concessions vienne des Palestiniens, affaiblis et divisés. En obtenant des dirigeants saoudiens et jordaniens, paniqués à la perspective de voir l’Amérique continuer de s’éloigner d’eux, qu’ils aident John Kerry et son principal négociateur, Martin Indyk, à obtenir de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, qu’il accepte les concessions qu’on exige de lui.
Les Américains sont parvenus à leurs fins : contre un projet d’accord très favorable à Israël, comme on le verra ci-dessous, faisant ainsi d’une pierre deux coups, ils ont obtenu de Benyamin Netanyahou qu’il cesse de s’opposer bruyamment à l’actuelle négociation avec l’Iran visant à réintégrer celui-ci dans l’équation moyen-orientale.
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Un État israélo-palestinien ? Ou bien deux États, l’un israélien, l’autre palestinien, vivant côte à côte ? On ne savait plus laquelle des deux solutions prévaudrait et on se perdait en conjectures.

"Ni l’une ni tout à fait l’autre", disent Kerry et Indyk. Et ils en proposent quatre !

L’État d’Israël consolidé, élargi et, si j’ose dire, rebaptisé.
Flanqué de... trois États palestiniens satellites :

o Gaza, qui existe déjà, paraît irréductible et se verrait ainsi conforté.

o La Jordanie, dont la majorité de la population est palestinienne ; on lui saura gré de sa souplesse, on lui confiera un nouveau rôle et on la récompensera d’une manière ou d’une autre.

o Une petite Palestine à définir et à constituer sur une partie de la Cisjordanie, issue d’échanges territoriaux et, peut-être, de population avec Israël.

Sa frontière sur le Jourdain sera, comme le demandait Netanyahou, occupée par l’armée israélienne pendant une période de dix ans, renouvelable.

Et, comme l’exigeaient Netanyahou et Lieberman, Israël sera reconnu par les Palestiniens (et les Arabes) comme "l’État-nation du peuple juif".
Avec des conséquences difficiles à évaluer pour le moment, même pour Israël.
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John Kerry pense avoir réussi à faire admettre ce concept d’État-nation du peuple juif (inventé et imposé par Benyamin Netanyahou) par les dirigeants saoudiens et jordaniens.

Il se propose de le soumettre à la Ligue arabe, qui l’agréerait à son tour en échange de 

- l’acceptation de principe par Israël de l’offre de paix arabe de 2002, mais dûment amendée  ;
-  et la promesse d’un examen sérieux par les États-Unis et Israël du problème des réfugiés palestiniens hébergés depuis 1948 par les pays arabes.

Œuvre de John Kerry et Martin Indyk – dont « la neutralité favorable à Israël » est manifeste –, la construction décrite à grands traits ci-dessus est à la fois habile, imaginative et réaliste.

Elle est nettement moins favorable aux Palestiniens que l’offre qu’ils avaient rejetée – ou acceptée trop tard – en 2000, quand Yasser Arafat négociait avec Ehoud Barak, ou que celle faite dix ans plus tard par Ehoud Olmert et déclinée par Mahmoud Abbas.

Au demeurant, c’est la traduction diplomatique de l’actuel rapport de forces entre un Israël isolé mais fort, dirigé par des hommes qui savent aller aussi loin que possible, et des Arabes affaiblis parce que divisés, affligés de mauvais dirigeants et qui sont aussi sensibles à la carotte qu’au bâton.

Lieberman a déjà dit du projet américain qu’il s’éloigne de ses conceptions et de ce qu’il aurait voulu, mais qu’il est bon pour Israël et qu’il convient, par conséquent, de l’accepter.
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S’il avait été palestinien ou plus généralement arabe, Benyamin Netanyahou aurait dit de ce schéma ce qu’il a tonitrué à propos de l’accord conclu entre les six puissances et l’Iran  : " C’est un mauvais accord. Mieux vaut pas d’accord du tout qu’un mauvais accord. "
Mais s’agissant des Palestiniens et des autres Arabes, leur mauvaise stratégie et la médiocrité de plus en plus manifeste de leurs dirigeants les ont conduits, décennie après décennie, à se voir proposer des accords de moins en moins bons.

Obtiendront-ils mieux demain s’ils refusent le mauvais accord que leur proposeront John Kerry et son président Barack Obama dans les prochaines semaines  ?

Ils ont quelques mois encore pour décider de la réponse à leur donner, car il ne s’agit, pour l’heure, que du schéma directeur d’une solution américano-israélienne élaborée en connivence avec quelques dirigeants arabes, dont on connaît mal les motivations et la représentativité.
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Seront-ils suivis  ? Maintiendront-ils leurs positions s’ils se sentent désavoués  ?

Pour l’heure, il suffit de savoir que le " bébé " de John Kerry est dans ses dernières semaines de gestation. Il faut se préparer à sa naissance en mars prochain et à se prononcer sur ce qu’il annonce pour la région"

Source : Jeune Afrique