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Israël : Tsahal, le casque et la kippa

Lundi, 14 octobre 2013 - 7h11 AM

lundi 14 octobre 2013

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JUSQUE DANS L’ARMÉE, LE POIDS CROISSANT DES RELIGIEUX ET DES NOUVEAUX IMMIGRANTS SE FAIT SENTIR. ALORS QUE LA QUESTION DE LA CONSCRIPTION OBLIGATOIRE POUR TOUS A ÉTÉ AU COEUR DE LA CAMPAGNE DES LÉGISLATIVES EN ISRAËL, CETTE ÉVOLUTION RÉVÈLE UNE SOCIÉTÉ PLUS CRISPÉE ET CONSERVATRICE QUE JAMAIS.

ISRAEL - Malgré des tiraillements, l’armée reste légaliste. Ici, des soldats prient, à la frontière de la bande de Gaza, en novembre 2012.
AFP/Menahem Kahana

L’armée de défense d’Israël, déployée dans les territoires palestiniens, est en pleine mutation. Dans ses rangs, une nouvelle génération de soldats sensibles au « nationalisme religieux » a fait son apparition. A l’occasion des élections législatives dans le pays, notre reporter s’est rendu sur place.

Du marché aux bijoux, dans le coeur historique de Hébron, il ne reste qu’un amoncellement de gravats. « Un petit souvenir pour votre femme ? » Yehuda Shaul a le sens de l’humour. Dans ce quartier désert et abandonné, des soldats en armes, postés sur des terrasses et devant des obstacles de béton, contrôlent les allées et venues le long de rues vides, mais surveillées par des caméras. Pour sortir de chez eux, les derniers habitants palestiniens - une douzaine de familles - doivent passer par le toit de leurs maisons, car les portes donnant sur la rue ont été scellées, il y a plusieurs années, sur ordre de Tsahal, l’armée israélienne. Vue d’ici, la plus grande cité de Cisjordanie, que se disputent juifs et musulmans, ressemble à une ville fantôme.

Avec sa barbe noire fournie, les pieds nus dans des sandales et sa kippa sur la tête, Yehuda Shaul est un guide singulier. Juif religieux et ancien soldat de Tsahal, il a servi à deux reprises, en 2001 et 2003, dans cette commune qui abrite le tombeau d’Abraham. L’expérience lui a laissé un goût amer, au point qu’après ses trois ans de service militaire obligatoire - deux pour les femmes - il a fondé l’association Breaking the Silence (Rompre le silence), qui pourfend la colonisation. Le groupe publie, en particulier, des récits anonymes d’anciens soldats choqués, comme lui, par certaines méthodes militaires appliquées sous couvert de sécurité : harcèlement, arrestations arbitraires, fouilles de maisons au milieu de la nuit... « Ils comprennent après coup ce à quoi ils ont participé, explique Shaul. Ici, l’armée fonctionne main dans la main avec les colons. »

Le processus de paix n’est plus à l’agenda
L’association revendique près de 900 membres et organise chaque année environ 200 conférences, ainsi que 300 visites guidées à Hébron et, plus au sud, sur les collines rurales en direction de Yatta. Un troisième parcours est prévu autour de Ramallah, siège de l’Autorité palestinienne. « Nous touchons de 8000 à 10 000 personnes par an », affirme Shaul. Des Israéliens pour la plupart, dont un tiers de futurs appelés, et des observateurs étrangers. L’organisation a pour objectif d’interpeller la société israélienne, mais ses animateurs ont souvent l’impression de ne pas être entendus. Car le processus de paix n’est plus à l’agenda, et a fortiori la façon dont l’armée se comporte dans les Territoires occupés.

Les Palestiniens sont le dernier des enjeux en termes stratégiques. Sur l’échelle des menaces, ils arrivent loin derrière l’Iran ou la Syrie.

La coexistence avec les Palestiniens, c’est le point aveugle dans la rétine des Israéliens... « Au fond, ils s’en fichent, observe le politologue Yagil Levy, qui enseigne à l’Université ouverte d’Israël. Tout les y encourage : l’occupation est peu coûteuse, la communauté internationale est relativement silencieuse, les attaques terroristes ont cessé. Qui plus est, le nombre de soldats déployés en Cisjordanie est au plus bas. » Une source gouvernementale précise : « La coopération fonctionne, de manière discrète et satisfaisante, entre les forces de sécurité israéliennes et la police palestinienne. » Dans ces conditions, la problématique n’intéresse guère. « Les Palestiniens sont le dernier des enjeux en termes stratégiques, confie un haut gradé. Sur l’échelle des menaces, ils arrivent loin derrière l’Iran, la Syrie, le Hezbollah libanais, le Hamas à Gaza, voire la résurgence de la question du Sinaï, le long de la frontière avec l’Egypte. » La construction du mur de séparation et l’absence d’attentats alimentent l’oubli de ces voisins remuants. Dernier élément : « L’opinion a le sentiment que le retrait de l’armée de la bande de Gaza, en 2005, comme celui du Sud-Liban, cinq ans plus tôt, aurait dû entraîner un assouplissement des relations avec Israël, explique Denis Charbit, professeur de sciences politiques. Beaucoup pensent, à tort ou à raison, que ces gestes de bonne volonté n’ont pas été récompensés. » Alors, pourquoi en faire d’autres ?

Dans les rangs, la montée inexorable du fait religieux
Les raisons sont aussi à chercher au sein de l’armée elle-même. Pour Yagil Levy, spécialiste de l’interaction entre l’armée et la société civile, l’incorporation d’une nouvelle génération d’immigrants venus de Russie, d’Afrique du Nord, voire d’Irak ou d’Ethiopie, a modifié le profil sociologique des conscrits : « Ces derniers sont moins enclins à utiliser la manière douce envers les Palestiniens », note le chercheur. Facteur aggravant, un nombre croissant de jeunes issus de la classe moyenne laïque, intellectuelle et branchée, invoquent des prétextes médicaux ou psychologiques pour éviter de passer trois ans sous les drapeaux.

A ce double phénomène, qui accentue le conservatisme dans les rangs, s’ajoute la montée inexorable du fait religieux. Chez les « nationalistes religieux » - qui progressent dans l’opinion -, l’armée demeure le pilier fondamental de l’Etat d’Israël. Et pour les jeunes colons, elle revêt une dimension idéologique supplémentaire. Ce qui ne va pas sans problèmes lorsqu’ils sont déployés, au cours de leur service militaire, en Cisjordanie. Ces dernières années, l’armée a condamné plusieurs soldats qui avaient désobéi, avec l’aval des rabbins militaires. En 2009, des hommes du bataillon Shimshon ont même manifesté devant le Mur des lamentations : ils refusaient d’évacuer une colonie illégale. Au sein de l’armée, dont certains officiers sont issus de colonies, il n’est pas toujours simple de concilier discipline militaire et conviction religieuse... A Hébron, une coopération tacite s’est développée entre les colons et les soldats. Ce qui n’interdit pas les conflits, lorsque les militaires sont agressés par des extrémistes.

Pour Yagil Levy, l’armée est désormais « emprisonnée » par la communauté religieuse. Dans les unités combattantes, délaissées par la classe moyenne, plus d’un soldat sur quatre serait religieux, notamment dans le corps des officiers. En 2010, six des huit hauts gradés de la brigade Golani, l’une des plus prestigieuses de l’armée de terre, portaient la kippa. En pratique, cette situation peut conduire des commandants d’unité à négocier avec les rabbins l’exécution de certaines missions. Les femmes, aussi, s’inquiètent de l’influence des diplômés des yeshivas, les écoles talmudiques : « Il est arrivé que des hommes quittent la salle parce que des soldates entonnaient les chansons à la gloire de Tsahal lors de cérémonies militaires », raconte un officier.

Obéir au commandement ou aux rabbins ?
L’"armée du peuple", matrice de l’Etat d’Israël, est un microcosme des mouvements sociétaux. Elle reste majoritairement légaliste. Néanmoins, un fossé semble se creuser entre laïques et religieux. « L’Iran est perçu, à juste titre, comme une menace existentielle, remarque un expert militaire. Mais le péril est aussi intérieur. Si Tsahal réussit cette intégration, c’est un signe positif pour l’avenir du pays ; sinon, on peut s’inquiéter. » Et pour cause. A qui obéiraient les religieux si, par hypothèse, l’ordre leur était donné d’évacuer les colonies de Cisjordanie dans le cadre d’un règlement du conflit ? Au commandement ou à leurs rabbins ? « La question serait plutôt celle-ci, observe Levy : les politiques oseraient-ils donner un tel ordre aux militaires ? » Et les colons ? En 2005, lors du retrait de la bande de Gaza, les quelque 8000 Israéliens présents n’ont pas opposé de résistance ; en Cisjordanie, le défi serait d’une tout autre ampleur, pas seulement en raison de leur nombre (près de 300 000), mais aussi parce que, contrairement à Gaza, ces territoires se situent en Terre sainte.

Au coin d’une rue de Hébron, des enfants de colons ont reconnu le fondateur de Breaking the Silence. Aussitôt, ils se mettent à hurler : « Yehuda Shaul, meurtrier ! Nous ne te laisserons pas l’emporter ! » Ils n’ont pas dix ans.

Volontaires français
Chaque année, entre 1400 et 1500 Français donnent de leur temps à l’armée israélienne, via l’association Sar El. Durant sept, quinze ou dix-neuf jours, ces volontaires civils, juifs ou non, occupent des emplois de réservistes dans les bases sécurisées de Tsahal. Ils plient les parachutes, vérifient le bon fonctionnement des masques à gaz, préparent les paquetages, les paniers repas et les trousses médicales. Dans une vidéo, sur Internet, on les voit également nettoyer des armes. Après l’opération « Pilier de défense », dans la bande de Gaza, en novembre 2012, un appel a été lancé pour amplifier la mobilisation, avec l’objectif de remettre le matériel en état de marche. « Bien sûr, nous sommes pour la paix, précise Yossi Tapiero, le directeur français. D’un autre côté, l’armée ne peut pas baisser la garde. »

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