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Yémen, assassinats télécommandés et population terrifiée (ndlr)

Comment les drones américains au Yémen nourrissent le terrorisme

Vendredi, 9 août 2013 - 7h17 AM

vendredi 9 août 2013

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« Les drones ne font pas de différence entre un civil et un combattant. Ils tuent, un point c’est tout » s’exprime un Yéménite dans un documentaire signé BBC World News qui sera diffusé ce week-end.

Au Yémen, l’utilisation de ces aéronefs télécommandés sans pilote ne ferait que grossir les rangs d’Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA).

C’est ce que révèle ce film intitulé « Yémen : le nouveau front pour les États-Unis » réalisé par la reporter Yalda Hakim. Un reportage qui tombe à pic alors que ce pays enregistre depuis le 28 juillet une sixième attaque par drones faisant une vingtaine de morts, présumés membres de l’AQPA.

Le film, en anglais, ne dure que 26 minutes mais soulève une question cruciale : Les États-Unis ne sont-ils pas en train de faire proliférer le terrorisme plutôt que de le combattre ?

Après le bourbier irakien et afghan, le gouvernement américain commence sa campagne de frappes aériennes exécutées par les drones au Yémen.

Au travers de nombreux témoignages, Yalda Hakim dévoile peu à peu la réalité quotidienne des habitants de ce pays. Ils vivent dans une peur constante au bruit de ces machines qui voltigent au-dessus de leurs têtes. Des civils innocents périssent car ils ont la malchance d’être « un dommage collatéral de la guerre antiterroriste », comme le précise le ministre des Affaires Étrangères yéménite Abu-Bakr Al-Qirbi. Un témoin révèle ainsi comment son père, sa mère et sa petite-sœur ont brûlé vifs dans une voiture suite à la frappe d’un drone. « Je ne pensais pas que je leur disais au revoir pour la dernière fois » confie t-il.

Peut-être plus insupportable que l’utilisation des drones : le silence du gouvernement américain explique Farea Al-Muslimi.

Ce Yéménite interviewé par Yalda Hakim a étudié aux États-Unis et gère une organisation pro-démocratie au Yémen. Bien qu’il soit un des activistes les plus pro-américains du pays, il ne manque pas de souligner « cette grave erreur » de la part du gouvernement américain. « Des civils sont tués et aucun pardon, aucune compensation n’est faite… ils ne l’admettent même pas » explique le militant. « Ils agissent dans l’ombre alors qu’au Yémen on ne cesse de débattre la stratégie de guerre américaine » ajoute t-il.

Une stratégie de guerre contre-productive

Depuis 2002 le nombre de personne tuées par des drones américains s’élève à plus de 4700, selon un sénateur républicain.

En moins de deux semaines au Yémen, les drones américains ont tués une vingtaine de personnes, présumées membres du réseau terroriste.

Les États-Unis reconnaissent l’utilisation des drones au Yémen pour éliminer les activistes islamistes mais ne s’expriment pas sur les opérations en particulier. En conséquence, la haine envers l’état américain se propage parmi la population et fait fermenter le terrorisme. « Le succès récent de l’AQPA découle directement des drones » explique Farea Al-Muslimi. Dans les rues, beaucoup expriment leur rancœur envers les États-Unis et leur stratégie de guerre. Les membres de l’AQPA tentent de convaincre de plus en plus de Yéménites que leur nation est entrée en guerre avec les États-Unis.

Pour l’administration Obama, l’emploi de ces missiles guidés à distance présente moins de risques que l’invasion. Mais, en même temps, cette technique de guerre brouille les pistes.

Comment reconnait-on le combattant du civil ?
Quelle frontière établit-on entre l’homicide de guerre et le meurtre ?

C’est une interrogation qui est soulevée par le philosophe Grégoire Chamayou dans son ouvrage Théorie du drone. En citant Camus, il revient sur le pivot de ce qu’est une guerre : on ne peut pas tuer si on n’est pas prêt à mourir. Cependant, dans la mesure où les drones sont pilotés à distance par des personnes qui ne s’exposent jamais au risque de mourir, l’attaque conduite ne serait-elle pas un acte d’homicide décriminalisé ? Le cadre légal à travers lequel l’État américain agit n’est pas défini. Ces frappes sont menées par des agents de la CIA (des civils) qui pourraient être poursuivis pour crimes de guerre.

Le gouvernement yéménite se lave les mains

Lors de l’interview avec le ministre des Affaires Etrangères yéménite, on comprend que le gouvernement cautionne cette stratégie militaire étrangère. Pour Al-Qirbi, la souveraineté du Yémen ne serait violée que dans le cas où les attaques auraient lieu sans l’accord du gouvernement. « Hors, ce n’est pas le cas », précise t-il dans l’entretien. Le ministre n’y voit donc « aucune autre alternative ». Il en conclut que lorsqu’un pays est menacé par une organisation terroriste comme AQPA, la seule solution est de tuer.

Alors que le gouvernement s’est félicité hier d’avoir déjoué un projet d’Al-Qaïda grâce aux frappes des drones, des témoins interrogés dans le film considèrent que l’AQPA serait « presque plus patriotique que le gouvernement central ». Le réseau terroriste aurait même financé des reconstructions de maison et des enterrements de civils tués.

Le Yémen est le pays le plus pauvre du Moyen-Orient. Pour la journaliste, il faudra bien plus qu’une campagne militaire acharnée conduite par un autre État pour éradiquer Al-Qaïda.

Source : L’Humanité.fr