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Tout se tient (ndlr) - Source : Le Monde Economie

Alerte : la France sabote la taxation des transactions financières !

Vendredi, 12 juillet 2013 - 18h38

vendredi 12 juillet 2013

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Le Monde.fr | 11.07.2013 à 20h35 • Mis à jour le 12.07.2013 à 14h33
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Par Dominique Plihon (Porte-parole d’Attac France) et Peter Wahl (Président de l’ONG allemande WEED)

"La France avait soutenu l’introduction d’une taxe sur les transactions financières (TTF) à l’échelle européenne sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Lorsqu’il était devenu clair que la TTF ne serait pas acceptée par les 27 Etats membres de l’UE – la Grande Bretagne, la Suède et le Luxembourg étaient farouchement contre – un groupe de onze pays, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France et l’Italie - a choisi la méthode de la "coopération renforcée" pour introduire la taxe en s’appuyant sur le projet de directive de la Commission. Le projet de la Commission n’était certes pas parfait, mais il constituait un pas en avant important, et bénéficiait du soutien de la société civile. La France avait activement soutenu cette initiative. François Hollande s’était énergiquement prononcé pour la TTF dans sa campagne électorale.

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Lorsque le groupe de travail prévu par la procédure de coopération renforcée avait commencé ses négociations en février dernier, il apparaissait que la France, représentée à l’époque par le Ministère du budget, allait jouer un rôle constructif.

Après le départ de Jérôme Cahuzac, le ministère des finances a pris en charge ce dossier.

Depuis lors, la France a fait machine arrière et semble avoir rallié le camp des adversaires de la taxe. Alors qu’il déclare publiquement défendre la TTF, le ministère français exige en coulisse des exceptions qui, prises ensemble, feraient de la taxe une farce sans effet régulateur qui ne produirait que des recettes ridiculement faibles !

Lors de la réunion du groupe de travail, le 22 mai, le ministère a ainsi déclaré voir beaucoup de problèmes dans la proposition de la Commission et a demandé l’introduction d’amendements d’une portée considérable. Le ministère des finances français remet en cause les points suivants :

Le principe d’origine. Le projet de la Commission prévoit plusieurs mesures contre l’évasion fiscale, dont le premier est le principe d’origine. Cela veut dire qu’une banque française est taxée même si elle fait une transaction en dehors de l’Union européenne, par exemple à New York. En complément de ce principe, la Commission veut taxer selon le principe d’émission. Ici, le critère est l’origine de l’instrument, et non pas de l’institution financière. C’est-à-dire qu’une action de Renault vendue à Hongkong par une banque japonaise serait aussi taxée. Le ministère français ne veut appliquer que le principe d’émission. Mais puisque la plupart des produits dérivés sont traités sur des marchés de gré à gré et ne donnent pas lieu à émission, la position française permettrait à une part importante des transactions d’échapper à la taxation.

La taxation de chaque transaction. Tandis que la Commission propose de taxer chaque transaction, le ministère français veut taxer les opérations après compensation. Cela signifie que la taxe ne serait prélevée qu’une fois par jour, à la clôture du marché. En ce cas, les revenus ne seraient qu’un petit pourcentage de ceux obtenus par la première méthode ; la TTF perdrait son effet régulateur, en particulier sur les transactions à haute fréquence.

La taxation des vendeurs et acheteurs. Le projet de la Commission prévoit la taxation sur les deux bouts d’une transaction, c’est-à-dire que le vendeur et l’acheteur doivent payer. Le ministère français demande de ne taxer que les vendeurs, réduisant ainsi de moitié les recettes fiscales.

La taxation au sein d’un groupe. Le projet de la Commission souhaite taxer les transactions au sein d’un groupe, par exemple entre la maison-mère et ses filiales. Le ministère de finances français est contre cette proposition.

La valeur nominale des dérivés. La Commission propose de taxer un produit dérivé selon la valeur nominale couverte par le produit, et non pas selon le prix du produit lui-même. Si Paribas par exemple vend une option pour l’achat d’actions dans deux mois pour cent millions d’euros, ce seront les cent millions qui sont taxés. Le prix de l’option se situe normalement entre 3 % et 5 % de la valeur nominale. La proposition française signifierait donc une réduction de la taxe d’au moins 95 %.

Le "Repos" Enfin, la France demande que les « repos » (opérations de pension) soient exemptés de la TTF. Les "repos" sont des crédits à très court terme (quelques heures ou une nuit) entre banques, qui sont généralement utilisés pour financer des opérations spéculatives. Juridiquement, les "repos" sont – à juste titre - considérés comme des transactions. Ils doivent donc être assujettis à la TTF. L’exemption des "repos" serait une prime à l’économie de casino que souhaite combattre la TTF.

Ce recul de la France a eu lieu derrière les portes closes d’une négociation sans aucune transparence, ni légitimation démocratique. L’Assemblée nationale ne semble pas être au courant. Bien sûr, il ne s’agit pour le moment que de négociations techniques entre hauts fonctionnaires. Mais si le gouvernement Ayrault valide la position régressive de Bercy, cela signifiera qu’il a capitulé sous la pression du Medef et de la Fédération française des banques pour qui la TTF serait "destructrice de richesse". La TTF serait alors une caricature de la proposition de la Commission.

Dominique Plihon (Porte-parole d’Attac France) et Peter Wahl (Président de l’ONG allemande WEED)