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Paix et Justice au Moyen-Orient - Analyse 2013/11

Le calife d’Iran et sa république

Mercredi, 26 juin 2013 - 7h19 AM

mercredi 26 juin 2013

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La république islamique est un califat « moderne ». Selon Le Petit Robert, un calife est un « souverain musulman, successeur de Mahomet, et investi du pouvoir spirituel et temporel ».

L’article 2 de la Constitution est on ne peut plus clair : « Dieux exerce en Iran une souveraineté absolue et préside à l’élaboration des lois ». La Constitution confère, donc, aux religieux la primauté sur le politique. C’est la doctrine du velayat-e faqih (« gouvernement du docte »).

Actuellement, c’est Ali Khamenei, le faqih, qui, en l’absence de Mahdi, l’« Imam caché », représente Dieu et, au moyen de la charia, exerce le pouvoir absolu du religieux sur le politique.

Le califat iranien n’est plus-il est vrai- ce qu’il était au Moyen-âge. La Révolution a triomphé en 1979, dans un pays relativement développé. Khomeiny s’est trouvé entouré de jeunes croyants laïcs, cultivés et épris de libertés, à l’exemple de la société iranienne dans son ensemble.

Le terme « république islamique » tend à concilier la doctrine archaïque du velayat-e faqih avec les aspirations démocratiques de la génération qui a fait la révolution.

La république a répondu aux besoins d’un monde moderne. Il fallait gérer, les villes, les écoles, les universités, les hôpitaux, construire des routes, des métros, des aéroports, des centrales électriques, des barrages, des usines ; former des enseignants, des chercheurs, des ingénieurs, créer des centres de recherche scientifique, etc. L’école théologique de Ghom, ville sainte du chiisme iranien, avec ses mollahs moyenâgeux, tournés vers le martyre des imams chiites, n’était, quant à elle, pas équipée intellectuellement pour résoudre les problèmes d’une société moderne.

Depuis 1979, deux mondes vivent et évoluent en parallèle : l’islam et la république. L’islam exerce sa priorité et regarde la république d’un œil méfiant.

30 ans après sa fondation, la république islamique ne ressemble plus à celle de sa naissance. Le clergé a perdu son unité et les mollahs ont rejoint des courants commerciaux et industriels, dont la gestion exige l’emploi de méthodes plus ou moins modernes.

Or, la gestion des affaires a produit des frictions croissantes entre les deux tendances présentes au sein de l’Etat. Un certains nombre de mollahs, sentant le vent tourner, ont cherché à accompagner le mouvement en faveur des « réformes ». La charia et ses lois archaïques se sont montrées de plus en plus incompatibles avec les besoins d’un Etat du 21è siècle.

Le développement du mouvement réformiste a eu pour effet de renforcer la résistance des fondamentalistes, maître des appareils de l’Etat et de l’armée.

L’élection de 2009, opposant Ahmadinejad, poulain de Khamenei, à un candidat réformateur, a donné l’occasion à Khamenei d’étouffer définitivement le camp des républicains, quoique fidèles au régime ; et, par ailleurs, d’installer un califat moyenâgeux destiné à préparer la « résurrection » de l’« imam caché ». Ce coup d’état électoral a réussi grâce au soutien des « Pasdarans », garde prétorienne du régime.

Mais, c’était sous estimer la vague réformatrice. On connait la suite. Les manifestants qui contestaient l’élection d’Ahmadinejad ont été brutalement réprimés. Des dizaines de manifestants furent tués, et des milliers, dont les deux chefs réformateurs, sont toujours en prison ou en résidence surveillée. Depuis quatre ans, un climat sécuritaire pesant, contesté même par certains caciques du régime, règne dans le pays.

A son tour, Ahmadinejad, confronté aux réalités de la gestion d’un Etat moderne, s’est peu à peu opposé à Khamenei et à son entourage fondamentaliste. Cela ne l’a pas empêché de préparer la « résurrection », au prix de millions d’euros, servant, entre autres, à produire un filme intitulé la « résurrection est proche » !

Les conséquences économiques de la mainmise de Khamenei et de ses proches sur l’Etat s’avèrent catastrophiques. Les « Pasdarans », contrôlaient déjà « le tiers des importations », à partir d’une soixantaine de quais sur les rives du Golfe Persique, d’une dizaine d’aéroports-dont celui de Payam, proche de Téhéran (…)- de vingt-cinq quais de dédouanement à l’aéroport international de Méhrabad » (selon une déclaration en 2007 (1) de M.Mhammad Ali Mochafegh, l’un des conseillers de M. Mehdi Karoubi, ancien président du Parlement, actuellement en résidence surveillée).

Après le coup d’état électoral, ces mêmes « Pasdarans » ont mis la main sur un tiers de l’économie iranienne. La corruption, le népotisme, le pillage et la mauvaise gestion ont amené l’économie au bord du précipice. L’inflation dépasse officiellement les 30%. Les fondamentalistes prétendent incriminer les sanctions économiques. Mais personne n’est dupe. L’ampleur de la catastrophe est directement liée à l’incompétence de l’ancienne équipe dirigeante.

Se trouvant à la croisée des chemins : soit le régime persistait sur la même voie, conduisant à l’effondrement total, sous la pression populaire et internationale, soit il se résignait à changer de direction. C’est la deuxième voie qui fut choisi.

Certes, les fondamentalistes ont résisté jusqu’au bout. Le chef des « Pasdarans » Mohamad Ali Jafari s’est rendu en personne au bureau du Conseil des gardiens pour s’assurer que ces derniers allaient bien rejeter la candidature de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, pourtant l’un des fondateurs de la république islamique. (2) Ainsi va la « démocratie » sous sa majesté le calife !
Des rumeurs ont fait état de la volonté du peuple de boycotter l’élection présidentielle. Mais, Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami, l’ancien président de la république, ont exhorté la population à aller voter. Une grande mobilisation s’est opérée en moins de 48 heures, conduisant à l’élection d’Hassan Rohani, pourtant peu connu comme réformateur. Force est de constater qu’Akbar Hachemi Rafsandjani et Mohammad Khatami ont sauvé la république islamique.

Toujours est-il que l’échec des fondamentalistes, tel Jalili, poulain connu de Khamenei, représente un désaveu, voire une gifle à Khamenei, qui a conduit le pays à l’état où il se trouve.

Rohani, homme de confiance de Khamenei, a maintenant toutes les cartes en main. Il devient président d’un régime à bout de souffle. Le peuple reste mobilisé. Il souhaite ardemment l’instauration de libertés démocratiques et d’un Etat de Droit, une gestion moderne de l’économie, la fin des privilèges, la lutte contre la pauvreté et la corruption, ainsi que la fin des discriminations qui frappent les couches fragiles de la société, en particulier les femmes.

Vu l’ampleur de la tâche, rien ne dit que Rohani réussira à donner satisfaction aux revendications sociétales et économiques de la population tourmentée. Car, il y a le plafond de verre de velayat-e faqih qui a montré son incompatibilité avec les institutions de la république.

Le clergé chiite n’a qu’une alternative. Soit le velayat-e faqih se résigne à devenir un pouvoir purement symbolique ; soit il quitte définitivement la scène politique, faisant place à une véritable République d’Iran. L’avenir dira quel sera le choix du clergé, qui, en définitive, fait toujours couler beaucoup de sang au nom d’Allah.

(1) Le Monde diplomatique du février 2010- www.aei.org/outlook/27433
(2) Le Monde du 13 juin 2013.